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Temps de lecture : 8 minutes

En 2021, à la faveur d’une mission pour un avocat, nous avons publié un article dédié au legal design. Nous avions pris comme référence une interview de Miroslav Kurdov, legal designer.
Comme nous travaillons toujours pour des avocats, nous avons eu envie d’interviewer nous-mêmes Miroslav Kurdov. Après avoir travaillé dans des petites structures et en freelance pendant 5 ans, Miroslav est aujourd’hui legal designer pour un grand cabinet d’avocats au Luxembourg. Une fois n’est pas coutume, l’interview a donc eu lieu à distance.

(…) lorsque quelque chose est très simple à produire pour l’avocat, c’est souvent très difficile à comprendre pour son client (…) 

L’intérêt du legal design

On a besoin des avocats parce ce sont eux qui ont les informations, mais j’ai remarqué que lorsque quelque chose est très simple à produire pour l’avocat, c’est souvent très difficile à comprendre pour son client… d’où l’intérêt du legal design.

Ce qui favoriserait le développement du legal design, c’est que les clients soient davantage conscients que ça existe. Comme ça, ils demanderaient à leur avocat des documents revisités par un legal designer 😉

Legal designer au sein d’un grand cabinet d’avocat

 

Au sein du cabinet, je suis le seul à me consacrer à 100 % au legal design, mais beaucoup d’autres personnes ont comme travail la préparation de contenus simples et interactifs, par exemple : dans la team Learning. Ils préparent les formations donc bien sûr, pour eux, c’est extrêmement naturel de se dire :

  • langage clair ;
  • interactivité ;
  • chercher à se mettre à la place de l’utilisateur.

Ces réflexes-là sont déjà acquis pour eux !
Alors je suis peut-être le seul à avoir le titre de legal designer, mais l’esprit design est déjà présent chez eux.

Le plus souvent, ce sont des avocats qui sont partners ou counsel qui interagissent avec moi. Notamment parce que ce sont ceux qui prennent les décisions. Ils décident jusqu’où on peut aller, jusqu’où on peut « innover », dans les mémos ou dans d’autres documents.

De la même façon, selon la relation qu’il a avec un client, un partner va me dire : « Ok, Miroslav, vas‑y : travaille en direct avec lui. », ou bien « Je vais assurer le suivi parce qu’on est habitués à travailler comme ça avec ce client. ».

D’ailleurs, c’est bien que les avocats me canalisent un peu car je pourrais avoir tendance à proposer trop de manières de faire 🙂
Ça évite aussi de surcharger les clients, qui n’ont pas un temps illimité (même si ça peut les enthousiasmer de travailler sur un projet comme ça !).

Donc : j’aime bien travailler en direct avec les clients, mais je suis content qu’un partner agisse comme un intermédiaire, parce que c’est plus efficace.

De juriste à legal designer

 

Au départ, je voulais devenir acteur ou quelque chose comme ça, parce que ça avait l’air d’être rigolo. Mais mes parents m’ont dit : « Non, si tu veux faire des études, va plutôt faire du droit, comme ton oncle. Tu deviendras avocat (terme générique pour les juristes et les avocats en Bulgarie), et après, si tu veux devenir autre chose, libre à toi. ». Donc ils m’ont eu… et j’en suis bien content !

Il y a 10 ans, quand j’étais jeune juriste, on m’a demandé de refaire des présentations PowerPoint. On me disait : « Voilà 150 slides : fais quelque chose de beau ! ».
J’étais motivé mais je ne savais pas du tout faire, donc j’ai acheté quelques livres. C’est comme ça que j’ai appris.
Par ailleurs, j’ai toujours fait un peu de photos, de vidéos, etc. Donc je connaissais un peu Photoshop et Illustrator.
Après, j’ai regardé des tutos en ligne.
En fait, je fais de l’exercice illégal de la profession de graphiste ! Je me suis formé moi-même.

J’utilise principalement Illustrator. Ce n’est pas le plus simple à prendre en main, mais une fois qu’on connaît, on peut tout faire. Ça permet de créer tous les graphismes qu’on veut. J’ai appris aussi Adobe XD, parce que ça permet de faire des interfaces interactives.

Et puis, si on maîtrise Word et PowerPoint aussi bien que possible, ça permet de créer des choses un peu différemment, avec les outils que tout le monde utilise.
D’ailleurs, pour Word et PowerPoint, je trouve toujours des vidéos sur YouTube qui m’apprennent des choses. Ça ne s’arrête jamais !

Deux livres conseillés par Miroslav Kurdov, pour les présentations :

  • Slide:ologie — L’art de réaliser des présentations efficaces de Nancy Duarte. Diateino, 2017.
  • Présentation Zen Design, Principes simples de design pour des présentations plus efficaces de Garr Reynolds. Pearson, 2010.

Le premier déclic, c’était vraiment les présentations, et c’était vraiment axé sur les schémas, les tableaux… des synthèses plus visuelles, et les pictogrammes.
Si les avocats sont d’accord sur quelque chose, c’est sur les pictogrammes. Ils disent : « Oui : mets quelques pictogrammes, parce que c’est tout de suite différent. Mais par contre, on garde tout le texte ! ».

Donc le deuxième déclic, c’était le langage clair. Le texte, on peut le mettre dans des tableaux, on peut ajouter des pictogrammes… Mais si on ne fait que cela, il est probable que le texte restera incompréhensible.
Donc je garde toujours l’ouvrage d’Anne Vervier à portée de main (Rédaction claire, 40 bonnes pratiques pour rendre vos écrits professionnels clairs et conviviaux. Edi Pro, 2012).
J’ai aussi travaillé un peu avec Droits quotidiens, et on est toujours en contact. J’ai même participé à des formations qu’ils ont faites.
En fait, j’aurais préféré avoir commencé en me formant au langage clair. Je suis tout de suite allé vers la visualisation. J’étais très enthousiaste à propos du beau et du joli. Je me suis embarqué dans cette direction mais j’ai brûlé des étapes : tout ce qui était information design, langage clair, user research.

Et il y a eu un troisième déclic avec la partie formation. Au départ, j’avais juste envie que les avocats me consultent et me disent : « Faisons quelque chose de plus compréhensible avec des schémas. ». Mais les avocats étaient beaucoup plus intéressés par des explications pour savoir comment ils pourraient le faire eux-mêmes. Ça a du sens, parce que s’ils peuvent le faire, c’est moins cher, ça leur prend moins de temps. En fait, ils étaient plus près à payer pour de la formation que pour de la réalisation de documents sur-mesure.

En ce moment, je propose des introductions au legal design. J’insiste surtout sur le langage clair et l’information design.
On n’est pas obligés de jeter tout de suite les mots ‘design thinking’  !
C’est trop stressant de dire : « Maintenant, il faut utiliser une méthode dont personne n’a jamais entendu parler dans les couloirs de la fac de droit ! ». De toutes façons, la partie sur le langage clair crée déjà, à elle seule, beaucoup de polémiques. Quand je dis : « La longueur des phrases, c’est 20–25 mots. », on me répond : « Non, mais c’est impossible, Miroslav ! ». C’est à ce moment-là que je montre des phrases que j’ai prises dans les boîtes aux lettres de l’équipe. Pour commencer, je leur montre une phrase que j’ai vu passer quelques jours auparavant et je leur dis : « Vous vous en souvenez ? Maintenant, essayons ! ».

Quelques pictogrammes de la collection de Miroslav Kurdov sur The Noun Project :

Création d’une chaîne YouTube pour partager des « LEGAL DESIGN QUICK TIPS »

 

Je suis présent sur LinkedIn depuis 10 ans : j’ai un petit réseau spécifique « droit ». Les contenus qui marchent le mieux, ce sont les tips et les insiders.
Sur YouTube aussi, ça peut permettre de créer une chaîne de contenus spécialisés. Donc j’ai commencé… et je trouve que c’est difficile. Mais je me suis dit : « Allez, ce n’est pas grave : je me lance ! ».
Les premières crêpes sont toujours peu réussies : je vais encore travailler 😉

Le but, c’est d’avoir des vidéos dans un format court, compréhensible, avec 1 idée clé.
Je prends comme sujet des choses que j’ai souvent observées au cours de ma pratique, et je montre comment réarranger les choses grâce à des exemples et des animations.

En réalité, j’aimerais bien enregistrer une formation au legal design. Ça, c’est un projet qui me tient à cœur. Mais, en attendant, avec une collection de tips and tricks, je vise l’efficacité.
De mon point de vue, les avocats ne doivent pas immédiatement se lancer, jeter tout, et dire : « Allez, on fait des formations legal design. On change tout ! ». Ils peuvent commencer par implémenter des petits bouts de tips and tricks.

Cela ne leur demande pas de gros changements dans leur workflow de tous les jours.
Ils peuvent regarder un contenu de 2–3 minutes et l’appliquer immédiatement.

L’objectif, c’est de créer des mini-réactions et des mini-réflexes. 

Par exemple, la vidéo « Ne commencez pas une phrase par une référence légale », c’est quelque chose qui est très simple à mettre en place.

Beaucoup d’avocats disent : « Attends, mais moi je le fais toujours : je trouve ça très bien ! ».
Encore une fois : ce qui facilite la vie de l’avocat a de fortes chances de compliquer celle de son client…
Donc je dis : « Oui, mais je pense que tu peux commencer, dans tes e‑mails, par éviter de mettre des références légales en début de phrases. Et puis, quand tu verras les retours, considère aussi que, dans un mémo, on peut mettre un cadre légal à la fin et limiter les références au début, juste pour avoir un texte clean et direct. »

L’objectif, c’est de créer des mini-réactions et des mini-réflexes.

Un grand merci à Miroslav Kurdov d’avoir accepté de nous accorder cette interview !
Nous espérons créer prochainement l’occasion de poursuivre la discussion 🙂

Johanna Boulanger-Laforge

Co-fondatrice de KUSUDAMA & docteure en sciences de l'éducation, Johanna est passionnée par la pédagogie et les apports des sciences cognitives.