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Faire du motion design, ce n’est pas appliquer une technique, c’est faire un métier
« Motion designer », c’est la contraction de « motion graphic designer ».
Il faut être :
- 1/3 designer (Comprendre une problématique, connaître la cible, etc.)
- 1/3 graphiste (Et il y a toutes les typologies de graphistes : certains vont être plus attirés par la typographie, certains par la 2D, par la 3D, par la prise de vue, le stop motion.)
- 1/3 motion designer. (On fait de la vidéo, il ne faut pas l’oublier !)
”Être motion designer, c’est piocher dans pleins de choses pour pouvoir créer sa propre manière de faire.
Nous, notre narration, elle est sur une timeline. En termes de techniques d’animation, on peut partir sur du papier découpé, de la 2D, de la 3D, du rigging… Il n’y a pas de règles !
Être motion designer, c’est piocher dans pleins de choses pour pouvoir créer sa propre manière de faire. À la base, le métier il est né un peu comme ça, d’ailleurs.
Il n’y a rien de pire qu’un motion designer qui est considéré comme un technicien. Nous ne sommes pas des techniciens, nous sommes des créatifs. Quand on se retrouve face à une problématique technique, il faut apprendre à contourner. Le fait de contourner permet d’innover et de produire des contenus qui sont singuliers, originaux. Mais on ne peut faire ça qu’à partir du moment où on fait ce qui nous plaît.
Dans un showreel, il ne faut pas montrer qu’on sait tout faire, mais qu’on fait bien telle chose, parce que ça nous plaît. C’est le moyen pour qu’on vienne nous chercher pour ça.
Je pense que la première personne à avoir rassemblé graphisme et design en même temps, c’est Paul Rand. La définition du design graphique c’est : Comment faire passer un message avec une représentation visuelle.
Donc la définition du motion graphic design, elle est simple : Comment faire passer un message avec une représentation visuelle en mouvement.
Une « représentation visuelle », ce n’est pas forcément un dessin (on peut utiliser de la photo, du papier découpé). Et « en mouvement », ça ne veut pas dire que l’on ne peut faire que de l’animation. Un des plus grands motion designers au monde, Kyle Cooper, et il n’utilise ni 2D, ni 3D : il n’utilise que sa caméra. Ça ne veut pas dire qu’il n’est pas motion designer. Il a été diplômé de l’Université de Yale : il a un Master en Design graphique. Son Maître de formation, c’était Paul Rand.
Pour Saul Bass, notre métier, c’est de créer de l’écho émotionnel. Si tu prends plaisir en ce que tu fais et que tu mets de toi-même dans ce que tu produis, il y a forcément des gens qui vont le voir en face. Donc je suis persuadé qu’à partir du moment où tu fais ce qui te plaît, ça ne peut que marcher. A contrario, faire un travail sous la contrainte, et notamment sous la contrainte technique, ce n’est pas faire le même métier, c’est être technicien.
Un motion designer qui est défini par un logiciel, c’est un risque énorme.
La différence entre le cinéma d’animation et le motion design ?
Déjà, quelle est la différence entre un illustrateur et un designer graphique ?
La finalité ne va pas être la même !
Pour le cinéma d’animation et le motion design, c’est la même chose.
Quand tu es designer graphique ou motion designer, les personnes que tu as en face de toi, elles viennent consommer de l’information. On recherche l’efficacité. Le but est de générer une action derrière. C’est un métier de communicant.
Quand tu es illustrateur ou quand tu fais des films d’animation, les gens en face de toi sont là pour se divertir, ils ne viennent pas pour capter de l’information.
Si on demande à un illustrateur graphique de réaliser une maison, il va, par exemple, dessiner une longère bretonne avec des géraniums, un ciel bleu en arrière-plan. Quand on demande à quelqu’un ce qui est représenté, il va dire : une maison (peut-être qu’il va utiliser le mot longère) puis il va citer les détails qu’il observe.
Si on demande à un designer graphique de faire une maison, il va faire un carré et un triangle. Et la planète entière va comprendre. C’est ça, l’efficacité de l’information : ce qu’on voulait faire passer comme message, c’est que c’est une maison.
Donc ce n’est pas le même métier, ce n’est pas la même finalité, ce n’est pas le même public. Mais ça ne veut pas dire qu’un motion designer ne peut pas travailler pour le cinéma et ça ne veut pas dire qu’un animateur ne peut pas travailler avec des motion designers. Il n’y a pas de règles.
Mathieu Colombel du Studio Blackmeal — Portrait par Karim Rahou
Comment je suis devenu motion designer
Quand j’étais petit, j’étais déjà fan de cinéma : cinéma d’animation, cinéma en général.
Et mes parents aussi. C’est eux qui m’ont vraiment donné envie de me cultiver, de connaître cet univers de la narration.
Le soir quand je me couchais, j’avais du mal à m’endormir. Je descendais et je voyais mes parents qui étaient en train de regarder des films de Hitchcock ou des James Bond (parce que ce sont des immenses fans de cette saga !). Ils me laissaient regarder le début. Le début, c’est le générique. Et le fait de raconter des histoires par la métaphore graphique, c’est quelque chose qui m’a passionné tout de suite. Je me suis dit : « C’est ça que je veux faire ! ». Quand j’avais une dizaine d’années, j’ai commencé à écrire des histoires en utilisant la métaphore. J’essayais de donner des informations sans vraiment les dire. Je faisais la même chose avec mes dessins. J’avais une autre manière de raconter les histoires.
Dès que je suis rentré au collège, ce dont j’avais envie, c’était d’être artiste, ou plutôt : graphiste (j’ai compris plus tard la différence).
J’ai eu un bac économique et social et je me suis lancé directement dans le monde du design graphique animé. Le truc, c’est qu’en France, il n’y avait pas de formation en design graphique animé. Donc je suis allé à la fac, à Rennes, en analyse cinématographique. J’étais un peu frustré donc je me suis rapproché de pleins de CIO (CIO : Centre d’Information et d’Orientation) pour qu’on puisse me trouver en France une école qui formait à ça. Un jour, je reçois un flyer dans ma boîte aux lettres, qui m’apprend qu’il y a une école qui s’est lancée sur Paris, qui s’appelle E‑Artsup, et qu’ils vont être les premiers à former des designers graphiques animateurs. Ils avaient une formation Design graphique et ils avaient une formation Animation et, à un moment, les formations se rejoignaient pour rentrer en spécialisation Motion design. Je me suis dit : « C’est exactement ce que je veux faire ! ». Donc j’ai arrêté la fac et pendant 6 mois, je n’ai fait que bosser – bosser – bosser pour rentrer directement en 2ème année dans cette école ! Je suis arrivé en 2ème année : c’était la 1ère promotion. Je me suis lancé corps et âme dans cette promotion et je suis sorti en 2005 diplômé en Motion design.
De TBWA\Paris à la création de Blackmeal
Je suis arrivé pile au moment de la digitalisation des agences de communication. J’ai commencé ma carrière à Paris : j’ai rejoint TBWA\Paris. Je travaillais dans un pôle digital, un des premiers en agence de pub. (À l’époque, le digital, c’était 5% de ce que faisait une agence de pub.) J’ai recruté une première personne parce que j’avais trop de travail, puis une deuxième… jusqu’à gérer un pôle de 20 personnes.
En 2011, j’ai décidé de voler de mes propres ailes, avec Thomas (Lecomte) et Vincent (Ben Abdellah), que j’avais recruté au sein du pôle digital. Et on a créé Blackmeal à ce moment-là.
Un des piliers du motion design, c’est la singularité. Chez Blackmeal, on n’a pas deux projets qui sont pareils, pas deux équipes qui sont pareilles. Chaque film est unique. Il y a toujours au moins une personne en charge de la production (pour assurer la coordination), une autre en charge de la direction de création (pour assurer la cohérence graphique de toute la création), et puis au moins deux motion designers complémentaires vont travailler avec eux (ex : un qui fait de la 2D et un qui fait de la 3D). Et on aime bien varier les équipes !
La première réalisation dont j’ai été fier ? Marvel, en 2013. Cette production, c’était le fruit de notre travail à Thomas, Vincent et moi. On voulait se faire plaisir, sans qu’il y ait un client derrière. On voulait résumer 11 héros Marvel par la métaphore graphique, dans un temps extrêmement court de 40 secondes.
C’est un des films qui a fait qu’on a eu un gros coup de projecteur, beaucoup d’articles. Et Disney nous a contactés pour nous dire que si on faisait une nouvelle vidéo, ils la financeraient et la diffuseraient sur leur plateforme ! Bon… on ne l’a jamais fait : c’était un one shot.
Et l’année d’après, on a fait un film hommage pour Game Of Thrones, pour la sortie de la saison 5. Et, même chose, on a eu des articles partout, et HBO nous a contactés !
Même chose, c’était un film où on s’était amusés ! Et c’est marrant parce que les gens aujourd’hui, quand ils parlent de Blackmeal, ils disent : « Ah j’aimais beaucoup Blackmeal de cette époque ! ». C’est vrai que les choses se sont vraiment accélérées derrière, avec beaucoup de travail. Et là, on a vraiment envie de s’organiser pour produire à nouveau ce genre de vidéos.
Les appels entrants viennent de la visibilité sur internet (d’où l’importance de faire des films personnels) et des prix remportés. J’avais lu qu’un studio devait participer au moins à 4 ou 5 concours par an. Ça contribue beaucoup à la notoriété.
Et puis il y a aussi les conférences que je donne. (Je vais d’ailleurs bientôt participer à une table ronde sur le motion design.)
Un des concours dédiés au motion design : Motion motion awards
On aime aussi accompagner des associations, des fondations : Médecins sans frontières, la Fondation des Hôpitaux, etc. Parce qu’ils ont besoin de contenus et, comme ça nous touche beaucoup, on les accompagne. On fait des dons de prestations ; on fait du mécénat de compétences.
L’engagement pour promouvoir le motion design
Dès que j’ai eu mon certificat de motion designer en poche, je me suis dit : « Si je veux que mon métier soit reconnu en France et faire en sorte que des gens fassent cette formation demain, il faut que j’en devienne le porte-étendard. ». Je n’ai jamais arrêté depuis. J’ai fait des conférences sur la culture et l’histoire du motion design. J’ai écrit des formations. J’ai rédigé des programmes pour différentes écoles. J’ai tout fait pour partager ma passion.
Je ne suis pas le seul. Des personnes comme Laure Chapalain et Kook Ewo sont aussi des fers de lance du Motion design, en France et à l’international.
De mon côté, pour la petite histoire, en 2008, le directeur d’E‑Artsup m’appelle pour m’annoncer qu’il va fermer la section Motion design, parce qu’il n’y a pas assez d’élèves. Je me suis dit : « C’est pas possible ! ». Je suis allé à E‑Artsup et j’ai ré-écrit toute la formation avec les 3 élèves qui étaient en 4ème et 5ème année. L’année d’après, il y avait 12 élèves. L’année suivante, il y en avait 40. Aujourd’hui, il y en a 300 qui suivent cette formation-là au niveau d’E‑Artsup.
Ensuite, j’ai décliné ça pour d’autres écoles. Et je n’ai pas décliné de la même façon à Pivaut, à Sup de Création, qu’à E‑Artsup.
Blackmeal au Canada
En voyageant à Montréal, je me suis rendu compte qu’il y avait peu de design graphique, de motion design… de communication en général. Deux ans après, cela n’avait pas bougé. Nous, ça nous intéressait de nous installer là-bas, sur le volet métier, mais aussi sur le volet formation. On a mis 1,5 an à créer le projet. En 2019, on était prêts. Des boîtes comme Ubisoft avaient déjà prévu de nous confier des projets. On a signé les bureaux le 15 mars 2020. Le 17 mars 2020, tout était bloqué. C’était fou.
On rentre et on se dit : « Bon, on va attendre quelques mois. ». On avait du travail en France : il n’y avait pas de problème. (On travaillait notamment pour la Fondation des Hôpitaux.)
”… dans les studios de Blackmeal en France, on a des personnes qui viennent des 4 coins de la France.
Pour Montréal, on a attendu 6 mois, puis 1 an, puis 2 ans. Puis on a rendu les bureaux. Il y a toujours une personne qui travaille pour nous à Montréal, mais essentiellement sur la notoriété du groupe, pour l’instant. Bon, on travaille quand même avec Ubisoft à distance en ce moment, donc ça, c’est très bien. Dans un mois, je retourne à Montréal et je sais qu’il y a pleins de choses à faire. Ce que j’aimerais, c’est avoir un studio de 5 personnes à Montréal, dont 3 Français, et qu’il y ait 3 Québécois qui viennent en France. Parce que c’est comme ça qu’on s’enrichit !
Déjà, dans les studios de Blackmeal en France, on a des personnes qui viennent des 4 coins de la France. On prend les personnes qui sont les plus motivées, y compris pour les stages et les alternances. Il y a des candidats qui ont fait du stop depuis Marseille pour venir nous voir, certains ont édité des livres sur Blackmeal (avec, à la fin, une clé USB qui était leur showreel) ! Ce sont les profils qui nous attirent : de vrais créatifs.
Au niveau du Canada, c’est assez marrant parce qu’on pourrait croire que comme toutes les villes du Nord, ça va être des graphismes plutôt froids, épurés, comme ceux qu’on retrouve en Suède, en Norvège. Eh bien, au Canada, et particulièrement à Montréal : pas du tout ! Alors pourquoi ? Les quinze dernières années, il y a pas mal d’autres cultures qui se sont installées à Montréal : latines, allemande, française, etc. Ça me fait penser à Rémi Vincent qui a, comme ça, un style très coloré, très enfantin, très « projection » qui s’est installé là-bas et dont le style va influencer ceux qui l’entourent.
D’ailleurs, il y a là-bas un festival de projection : le festival MAPP pendant lequel on projette sur les murs les créations graphiques réalisées par les personnes invitées. C’est majoritairement des choses décalées, drôles, sympathiques, colorées. Et à force de voir ça, on se dit : « En fait, c’est un style que j’aime bien ! ». Ça va un peu en opposition avec la dureté de leur climat 😁
Un grand merci à Matthieu Colombel d’avoir accepté de nous accorder cette interview.
Nous souhaitons une belle route et d’autres jolis projets à Blackmeal : en France et au Canada !